Une poétesse de la Montagne Noire: Pascale Olivier -1896-1979-
Dans le cadre de la sauvegarde d'un patrimoine littéraire touchant la Montagne Noire, nous publions le courrier et les poèmes annexés qui nous ont été transmis par un de nos lecteurs Mr J.Charles Carroussel que nous remercions bien chaleureusement.
"Bonjour
J’ai eu connaissance de votre association par Mme Laetitia Souloumiac, et du festival que vous organisez cet été avec son riche programme.
J’ai vu sur le site que vous appréciez la poésie, comme celle de Jean de Trigon, et je désirerais vous faire connaître une « poétesse de la Montagne Noire » comme je l’appelle, de nom de plume « Pascale OLIVIER » (1896 - 1979).
J’apprécie beaucoup son œuvre, ayant eu la chance, à partir donc de la rencontre d’une pancarte de la Mairie de Viviers-Les-Montagnes la mentionnant dans le hameau de La Sabartarié, de trouver sur internet son dernier ouvrage : « Un chant sur la Terre », un recueil de textes écrits de 1939 jusqu’en 1951.
En fait nous sommes quelques personnes qui désirent que son œuvre et sa vie sortent de l’oubli où ils semblent être tombés, faute de supports disponibles, et même si une petite rue de Sorèze porte son nom. Cela semble en bonne voie car :
- nous avons fait il n’y a pas longtemps un atelier-poésie à Sorèze dédié à elle,
- se travaille avec des personnes (dont M. Bernard Louvet qui écrit sur La Revue du Tarn) un prochain article sur Wikipédia,
- il y a des liens avec sa famille dans le Loiret (où elle a ensuite vécu et où elle est enterrée), et une personne qui les y aide par rapport à toutes les archives dont sa famille est en possession.
- il semble aussi qu'il y ait quelqu’un à Rabastens soi-disant prêt à la rééditer.
- une guinguette, « à l’ombre des tilleuls » ouvre sur le lieu de La Sabartarié où elle appréciait séjourner :-)
La sensibilité que cette femme (amie de Louisa Paulin la poétesse tarnaise), déploie dans ses écrits, en particulier par rapport à la nature, montre qu’elle a été profondément marquée par son enfance et sa jeunesse passées en haut de la Montagne Noire jusqu’à ses vingt ans. (lieux : Le Montagnet, Jacournassy, Les Consuls, au-dessus de Sorèze mais le domaine de la famille de Barrau de Muratel, famille de la noblesse protestante, s’étendait aussi je crois à St Jammes et à son hêtre, à Grangevieille…).
A côté de son œuvre de poétesse, ce que j’ai su au niveau de ses engagements :
-Pendant la 1ère guerre mondiale 14-18 elle travaille dans un Hôpital de la Croix Rouge et reçoit la médaille des épidémies et la Palme d'or des infirmières pour service en temps de guerre de l'UFF.
-Pendant la seconde guerre mondiale 39-45 elle continue avec la Croix Rouge en se consacrant aux prisonniers de guerre africains et coloniaux que les Allemands avaient internés en France de 1940 à la Libération.
-Elle a été responsable départementale de La Croix Rouge pour son département et Conseillère municipale de sa commune Châteauneuf-sur-Loire dans le Loiret."
Je vous mets ci-dessous en pièces jointes des textes :
- "O montagne" qui chante notre Montagne Noire;
O montagne,
tu pèses sur mon cœur de tout ton poids de terre,
de tout ton poids de rocs découpés dans l’azur !
Longue bête accroupie,
poussant ton ombre au large des plaines grésillantes,
tu pèses sur mon cœur
de toute ta toison d’ajoncs et de bruyère
de landes rudes et de marais,
de tout le poids de tes forêts,
de tes hêtres d’argent dont la cime royale
venait baiser les pieds de l’enfant que j’étais…
O montagne,
puissance reposée sous le haut ciel de soie
où se perd le vol des rapaces,
tu pèses sur mon cœur de tout le poids de tes jours de lumière,
de tout le poids de tes saisons,
des flèches rudes de la pluie
et des brouillards fuyant dans la rage du vent…
O montagne de neige vierge,
de fleurs vives et de moissons,
chasseresse sauvage au cœur des bois sauvages,
montagne, montagne,
avec ta voix de torrents libres et de vent
dont je comprenais le langage,
qui a créé en moi ce cœur triste et fervent,
montagne qui fut aux vivants
et qui garde mémoire de nos morts,
tu pèses sur mon cœur de tout ton poids trop doux
de souvenirs, d’enfances claires et d’amour.
Pascale OLIVIER, 1896-1979,
recueil Couleur de joie couleur de peine
in Un chant sur la terre, 1951.
- vu son amour des arbres : un passage sur les hêtres ;
« Si fermement, tendrement attachés à la terre, des racines éteintes par cent sources glacées à vos cimes jaillies, érigées en brûlantes gloires, hêtres de mon pays, beaux arbres souverains, connaîtrez vous jamais l'amour dont je vous aime ?
Sur le sol fauve, le pas s'allège, se fait souple et furtif comme celui du chat sauvage dont l'innocente et trompeuse empreinte semble une fleur épanouie.
Un mouvement de l'air au réseau épanoui des feuilles, et c'est la vie même des arbres, son rythme profond et secret pour qui sait voir et entendre.
Colonne vierge après colonne, aspirés par le ciel, par cet azur intense qui se dérobe jusqu'au vertige, les hêtres de la vallée, et ceux là plus hardis, qui assaillent les pentes, les hêtres affleurent en paix à mes pieds, et j'en possède enfin la face heureuse et rayonnante, celle où la lumière et vent viennent parfois se reposer …
C'est de vous que me vient, arbres, cette fierté qui n'est peut-être que de l’orgueil, -- un orgueil presque végétal fait de force rude et tranquille, baignant dans comme le passé comme en l'humus profond vos robustes racines. De vous aussi, cette puissance de solitude, cet amour du mystère, de la noblesse du silence … C'est de vous que me vient cet élan vers un pays qui n'est peut-être que mirage, sortilèges de vent et ruses de nuages, mais peut-être aussi miracle pressenti, promesse et vision d'un au-delà certain … »
Pascale OLIVIER, 1896-1979, « ET RESURREXIT », article sur la Revue du Tarn, N° 3 - Septembre 1956 ( pages 209 à 212 ), partie V.
- vu son amour des animaux : un texte sur un chevreuil ;
« Mon bel amour, mon beau chevreuil sauvage,
au secret de mon cœur comme au cœur des forêts…
Moi seule, je connais la source
où tu viens boire aux lents soirs de l’été,
et ta remise de fougères
où comme une eau, ruissellent l’ombre et la clarté,
ces sentiers mille fois croisés sous les branchages, foulés par nul autre que toi,
et cette clairière cachée,
cet espace doré libre d’air et de soleil,
cet espace éclatant, ce havre de lumière
où je sais retrouver au plus pur de l’enceinte,
ta présence toute-puissante… »
Pascale OLIVIER, 1896-1979, « Chant », recueil Heures d'ombres in Un chant sur la terre, 1951.
- et son poème « Joie » : la joie que je vous souhaite pour l’organisation et la tenue de votre festival.
« Lève la tête, lève la tête !
le matin est mûr pour la joie,
le merle siffle un air de fête,
lève la tête, écoute un peu :
voici, la joie descend sur Terre,
la terre pétille de mille feux,
tout est joie et flammes d’aurores…
… La joie s’élance sur les eaux
la joie ruisselle en longues sources
sur la jeunesse des bouleaux,
la joie fuse au dépli des feuilles,
la joie bondit comme un chevreuil
au plus étouffé des forêts,
la joie court de plaine en montagne
sur les sentiers frayés du vent,
-étincelle à l’orée des champs-
danse changeante des avoines
lumière à la rose des vents.
La joie pure comme une étoile
aigüe comme une eau déliée,
la joie sans rime ni raison
puissance, essence de soi-même…
Etends les bras sur son passage,
qu’elle se pose un seul instant
au creux sensible de l’épaule,
comme fait un oiseau charmé,
avec la tiédeur de ses plumes
ses pattes fraîches de rosée,
et son tendre cœur désarmé
battant la sauvage aventure… »
Pascale OLIVIER, 1896-1979,
recueil Couleur de joie couleur de peine
in Un chant sur la terre, 1951.