Le développement de la culture de la pomme de terre en France au 19ème siècle, conjugué avec les
autres progrès de l'agriculture, a permis l'éradication des famines récurrentes des siècles précédents.
C'est en m'intéressant à la vie de mon arrière grand-père André Cassan (1846-1907), issu d'une
famille de charbonniers puis forgerons aux Bastouls et devenu marchand de pommes de terre à
Arfons, que j'ai tenté d'en savoir plus sur les circonstances dans lesquelles ce légume-tubercule s'est
développé à Arfons au 19ème siècle.
Nous verrons qu'après des débuts laborieux, c'est vraisemblablement sous l'impulsion de la famille
De Barrau, que la pomme de terre a pris une place significative dans la production agricole d'Arfons
et de la Montagne Noire, créant les conditions du développement de l'activité de marchand de
pommes de terre de mon ancêtre.
LA CULTURE DE LA POMME DE TERRE EN FRANCE
Si la pomme de terre était connue en France depuis la fin du XVIème siècle (1), sa diffusion en France
fut très lente, en raison de croyances selon lesquelles sa consommation pouvait donner la lèpre ou
les écrouelles (maladie ganglionnaire provoquant des fistules purulentes), ce qui lui valut d'être
longtemps réservée à l'alimentation de animaux. Les disettes de la fin du XVIIIème siècle et l'action
d'Antoine Augustin Parmentier (1737-1813) contribuèrent à modifier cette situation.
C'est à l'occasion de sa captivité en Westphalie lors de la guerre de 7 ans contre les Prussiens
qu'Antoine Augustin Parmentier découvre les vertus nutritives de la pomme de terre, principale
nourriture fournie aux prisonniers. Libéré en 1766, il devient dès lors un propagandiste acharné de
la culture de la pomme de terre comme moyen de lutte contre les famines répétitives que subit la
France
Un volumineux traité de 1898 du à Ernest Roze (lauréat de l'Institut et de la Société Nationale
d'Agriculture de France) et intitulé « Histoire de la pomme de terre traitée aux points de vue
historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire » (2) nous fournit quelques éléments
sur les efforts de Parmentier pour démontrer l'intérêt de la culture de la pomme de terre, notamment en
mettant en avant son meilleur rendement sur des terres de faible qualité.
1 Olivier de Serres en parle dans son Théâtre d’Agriculture et Mesnage des champs, dont la 1re édition a paru en
1600.
2 Publié par Rothschild Paris 1898 et accessible sur Wikisource
Un rapport de 1788, cité par Ernest Roze, sur les expériences de plantations comparatives menées
par Parmentier met par exemple en avant l'avantage de cultiver la pomme de terre plutôt que le
froment :
« Ainsi on tirera, dans certaines circonstances, sans grande dépense, d’un arpent du plus mauvais
terrain, planté de Pommes de terre blanches, un produit égal, soit en argent, soit en nourriture, à
celui qu’on tirerait à grands frais d’un arpent de bonne terre ensemencée en Froment. La quantité
de Pommes de terre nécessaires pour planter un arpent de mauvais terrain, et la quantité qu’il faut
de Froment pour ensemencer la même mesure de bonne terre, sont à peu près dans la même
proportion avec la quantité de leur produit respectif.
Mais les façons et les fumiers indispensables pour qu’un arpent de bonne terre rapporte 7 setiers
de Froment, sont beaucoup plus chers que les façons qu’exige un arpent sablonneux pour fournir
23 setiers 2/3 de Pommes de terre (3)
Il nous livre au passage une anecdote (4) amusante sur les méthodes utilisées par Parmentier pour
améliorer l'image de la pomme de terre :
« Voici ce que disait, dans sa Notice biographique sur feu Parmentier, lue à la Société
d’Agriculture le 9 avril 1815, M. Silvestre, secrétaire perpétuel. « Il (Parmentier) avait demandé
des gendarmes pour garder sa plantation de la Plaine des Sablons, mais il avait exigé que leur
surveillance ne s’exerçât que pendant le jour seulement ; ce moyen eut tout le succès qu’il avait
prévu. Chaque nuit, ou voloit de ces tubercules dont on auroit méprisé l’offre désintéressée, et
Parmentier était plein de joie au récit de chaque nouveau larcin, qui assuroit, disoit-il, un nouveau
prosélyte à la culture et à l’emploi de la Pomme de terre » ».
3 « Rapport sur la culture des pommes de terre faite dans la plaine des sablons et celle de grenelle, par mm. thouin,
broussonet, dumont et cadet lu à la société d'agriculture le 14 février 1788 », cité par Ernest Roze
4 Ernest Roze, p. 128
L'INTRODUCTION ET L'EXPANSION DE LA POMME DE TERRE À
ARFONS
Le même ouvrage nous renseigne également sur l'introduction de la pomme de terre dans le Tarn et
dans la Montagne Noire à partir de la fin du 18ème siècle.
- « En 1765, un évêque de Castres, Mgr. du Barral, se procure le plus qu’il peut de tubercules, les
distribue entre les curés de son diocèse ; puis, il leur adresse de nombreuses Instructions sur les
véritables qualités de la Solanée, dont, par mandement, il leur impose la propagation comme
devoir sacré. Enfin, il demande aux Grands propriétaires la cession temporaire de quelques
parcelles incultes en faveur des pauvres qui les planteraient en Pommes de terre ».
Toutefois, la Pomme de terre ne paraît pas s’être alors beaucoup répandue dans le Département du
Tarn, tandis que, s’il faut en croire Picot de Lapeyrouse, elle était en grande faveur dans certaines
parties des Pyrénées, mais encore presque inconnue aux environs de Toulouse.(5)»
- « La Pomme de terre n’est guère qu’incidemment mentionnée dans la Description du
Département du Tarn par Massol, en 1818, l’auteur se bornant à dire qu’elle est cultivée dans les
Cantons de Saint-Àmans-Labastide, de Mazamet et dans le bourg de Valence ; il spécifie cependant
qu’on récolte beaucoup de Pommes de terre dans le canton d’Angles.
Enfin, voici des renseignements précis qui m’ont été fournis sur les premières tentatives, faites sur
le versant septentrional de la Montagne-Noire, aux environs de Sorèze. C’est vers l’année 1790
qu’on essaya la culture de la Pomme de terre dans quelques métairies ; mais elle restait confinée
dans les jardins ou autour des maisons d’habitation. En 1814, elle n’avait encore pris aucune
extension, et elle gagna peu jusqu’en 1832 ; à cette date, un riche propriétaire de la Montagne
rassemble les paysans de ses dix métairies et leur enjoignit de cultiver en grand le tubercule, s’ils
ne voulaient être remplacés. Ce fut un excellent exemple. » (6)
5 Page 65
6 Page 118
En 1794, on trouve la preuve de culture de la pomme de terre à Arfons dans une délibération de son
conseil municipal du 13 germinal An 2 (02 avril 1794) relative à un défrichement « sauvage » de
deux arpents de la forêt communale de Sagnebaude vers Phalipou par certains habitants, qui avaient
commencé à les ensemencer en « seigle et pommes de terre ».
Un autre témoignage de plantation de pommes de terre à Arfons nous est fourni en août 1801 sur la
métairie de Cros. Celle-ci, qui appartenait à Alexandre de Beauregard, avait été placée sous
séquestre de la Nation en 1793 en vertu des lois sur l'émigration. Le 20 août 1801, Jacques Gineste
maire d'Arfons dresse procès verbal à Germain Aussenac, métayer de Cros, qui « intervertissait
l'ordre des cultures, donnait des champs en bouzigue (friche) et notamment cette année la moitié de
celui appelé la Sedassade, la moitié restante étant en récolte de pommes de terre », pratiques
considérées comme « préjudiciables à la Nation et au propriétaire comme contraires aux lois de
l'agriculture et aux intérêts du citoyen Beauregard ».
Le rôle de la famille de Barrau de Muratel.
Les éléments fournis par Ernest Roze, indiquant qu'en 1832 « un riche propriétaire de la Montagne
rassemble les paysans de ses dix métairies et leur enjoignit de cultiver en grand le tubercule, s’ils
ne voulaient être remplacés », conduisent à penser avec une quasi certitude que l'extension de la
culture de la pomme de terre sur le versant septentrional de la Montagne Noire entre Sorèze et
Arfons fut l’œuvre des descendants de Cyr-Pierre de Barrau de Muratel et, plus précisément, que le
riche propriétaire mentionné par Roze est son fils aîné, Jean-Pierre Armand de Barrau.
En effet, ainsi que nous l'indique Bertrand Gabolde dans son article « 1791-1819, Cyr-Pierre de
Barrau solde l'ancien régime à Arfons et Sorèze grâce à l'or des Indes » (7),la fortune très importante
que Cyr-Pierre de Barrau avait amassée aux Indes lui avait permis d'acheter en 1791 les métairies
situées entre Sorèze et Arfons, dont la Révolution avait dépossédé les Bénédictins de Sorèze. A sa
mort en 1820, il laisse d'ailleurs à ses trois fils une fortune évaluée à 244 000 Francs (8)
, comprenant 6 métairies : Grange Neuve, Borie Neuve, Saint-Jammes, Granjou, Grangevieille et le Poumet. On
trouvera en Annexe I un extrait de l'arbre de descendance de Cyr-Pierre de Barrau de Muratel.
Jean-Pierre Armand de Barrau et ses frères vont faire prospérer la fortune familiale et leurs
domaines sur Arfons, Massaguel, Viviers les montagnes, Sorèze dans les décennies suivantes. Pour
Arfons, la famille de Barrau a ainsi possédé, plus ou moins durablement au cours du XIXème siècle,
les métairies de la Guarriguène (9), des Gailhards (10), de la Prune, de Faury (11), de Sagnebaudou (12), de
Bouyssou (13) et des Bastouls (14)
7 Article publié sur le site de l'association Ora Fontium
8 Archives départementales du Tarn, Table des successions et absence du bureau de Dourgne, p. 5
9 J. M. Doudiès, Arfons au XVIIIème siècle
10 J. M. Doudiès, Arfons au XVIIIème siècle
11 G Durand Gorry et J de Trigon p. 98
12 DCM du 14 juin 1819 et 5 avril 1839
13 DCM du 14 juin 1819 et 5 avril 1839
14 G. Durand Gorry et J. de Trigon p. 98.
L'extension dans la première moitié du XIXème siècle de la culture de la pomme de terre à Arfons et
dans les métairies situées entre Arfons et Sorèze ne peut donc que venir des descendants de Cyr Pierre de Barrau, qui en possédaient un grand nombre.
Citons à nouveau Ernest Roze (15): (p.123)
« le mouvement était donné, la culture de la Pomme de terre devait prendre chaque année une
extension de plus en plus grande. Elle était à peu près partout répandue en France, en 1845,
lorsque l’invasion de la maladie (16) menaça de la faire abandonner, alors même que tous les esprits
commençaient à se pénétrer de son utilité bienfaisante. On reprit heureusement courage, les
attaques de cette déplorable maladie diminuèrent insensiblement d’intensité, et, de nos jours où
l’on est obligé de faire encore la part du fléau, on peut dire que la Culture de la Pomme de terre
est, à tous les points de vue, plus florissante que jamais. Voici ce que nous relevons dans l’Ouvrage
déjà cité de M. Ch. Baltet :
« Après le Blé, la Pomme de terre tient le premier rang en France. Tout le monde en consomme. Les
4,500 hectares de 1789 sont arrivés à 1,512,136 hectares en 1892. »
16 Le mildiou venu d'Amérique qui causa une famine épouvantable en Irlande et affecta d'une façon plus modérée la
production française.
Le Tarn et Arfons ne sont pas restés à l'écart de cette croissance de la culture de la pomme de terre.
Pour le Tarn, dans son ouvrage de 1898 Ernest Roze indique (17) que le département figure parmi les
13 départements français ayant consacré plus de 30 000 hectares à cette culture.
Pour Arfons, l'importance de la pomme de terre est perceptible dans le vœux formulés à plusieurs
reprises par le conseil d'arrondissement de Carcassonne auprès du préfet de l'Aude dans les années
1864-1869 pour « mettre le plus tôt possible sur les points où il est à peu près impraticable le
chemin de grande communication N° 24 de Saissac à Arfons, lequel chemin relie le département de
l'Aude avec celui du Tarn et offre une grande importance pour le commerce des bestiaux, bois,
charbon et pommes de terre. »(18)
De son coté, la municipalité d'Arfons vote en 1866 un crédit de « 400 francs pour permettre l'accès
au chemin de grande communication de l'Aude. Elle demande au préfet de bien vouloir veiller à
l'entretien de celui-ci par où 15000 quintaux métriques (19) de pommes de terre sont dirigés chaque
année vers Carcassonne ainsi que le foin, le bois et autres production de la montagne. » (20)
17 E Roze, p. 124
18 Relaté par le journal Le Courrier de l'Aude du 27/07/1864
19 1500 tonnes
20 Cité par G Durand-Gorry et J de Trigon Page 108
On trouve également de précieux renseignements dans un mémoire de Félicien Pariset « Économie
rurale de la Montagne Noire » (21), publié en 1881 par la Société Nationale d'Agriculture de France.
Dans cet ouvrage essentiellement consacré à la partie audoise de la Montagne Noire, Félicien
Pariset consacre un chapitre entier à la culture de la pomme de terre, dans lequel la commune
d'Arfons est plusieurs fois citée.
« La Pomme de terre est la véritable production des pentes supérieures de la Montagne-Noire; elle
y est l'objectif de la culture, comme le Froment l'est de la culture de la plaine. Non seulement elle
est d'un rendement plus avantageux que les grains grossiers qu'on y récolte, tels que le Seigle,
l'Avoine et le Sarrasin; mais, avec des soins et des engrais, elle donne des résultats aussi
rémunérateurs, si ce n'est plus, ainsi que nous l'établirons, que le Froment dans les bonnes terres
de la plaine.
A Arfons, la fumure n'est pas moindre de 500 quintaux à l'hectare. La terre répond à la profusion
d'engrais par le rendement le plus encourageant et justifie cette règle agricole: que l'excès de
fumure, quelquefois dangereux quand il s'agit d'une récolte de grains, est toujours sans
inconvénient quand il s'applique à une récolte de racines. Ainsi fumée, la Pomme de terre donne, à
Arfons, 170 quintaux (de 50 kilog.) à l'hectare; fumée et chaulée, elle donne 240 quintaux (de 50
kilog,) à l'hectare.
Sur le plateau d'Arfons, qui appartient au département du Tarn mais qui est contigu au département
de l'Aude, le terrain est meilleur, la culture plus soignée et la production plus forte. La commune
d'Arfons, à elle seule, a, chaque année, en Pommes de terre, de 100 à 120 hectares; les communes
voisines de Saint-Chamans, Sorère (22), Dourgne, en ont chacune de 40 à 50 hectares. A Arfons, le
rendement moyen est de 200 à 240 hectolitres (23) par hectare;dans les autres communes il est
moindre et ne dépasse pas 200 hectolitres.
Cette denrée est d'une vente toujours facile et l'objet d'un commerce actif. Elle s'expédie à
Carcassonne, d'où on la dirige sur le Bas-Languedoc, sur Perpignan et Marseille, et aussi sur
Toulouse, Bordeaux et Nantes.
Le prix, dans les années d'une bonne récolte, ne varie pas sensiblement. Il est sur place, en
moyenne, de 2 fr. 75 l'hectolitre (24); le transport coûte 50 centimes (25) par hectolitre pour rendre la marchandise à Carcassonne. Le cours ordinaire pour de fortes quantités est donc de 3 fr5026 ; au
détail le prix est de 4 à 5 fr.27; en cas de mauvaise récolte, le prix est plus élevé.
21 Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
22 Il s'agit manifestement de fautes d'impression pour Saint-Amans (ou Saint-Amancet) et Sorèze.
23 Un hectolitre correspond environ à 57 kilos selon Pariset soit un rendement de 11,4 à 13,7 tonnes/hectare. Le poids
de l'hectolitre dépend de plusieurs facteurs (calibre, variété, taux d'humidité) et d'autres sources penchent plutôt vers
un poids de 70 kilos/hectolitre.
24 Environ 3,9 à 4,8 francs le quintal
25 Environ 0,7 à 0,9 franc le quintal
A Arfons (Tarn), où la Pomme de terre se cultive sur une grande échelle, et dans le Saissagais, la
rotation la plus usitée est triennale: Pomme de terre, Seigle et jachère.
C'est seulement dans quelques localités, comme à Arfons (Tarn) et dans quelques grosses
métairies, que, lors d'une dépréciation momentanée, des tentatives isolées ont eu lieu pour
appliquer la Pomme de terre à l'engraissement du bétail. L'usage général est de vendre les Pommes
de terre marchandes, c'est-à-dire d'une certaine grosseur; on conserve tout ce qui est nécessaire
pour les besoins de la ménagerie agricole, et on choisit pour cela, comme de raison, les fruits qui,
n'étant pas d'une grosseur suffisante, seraient refusés par le commerce. »
Nous disposons également des statistiques résultant des enquêtes agricoles réalisées par le ministère
de l'agriculture auprès des municipalités.
Celles de 1892 et de 190128 font état d'une surface plantée en pommes de terre sur la commune
d'Arfons(sans doute à son apogée) stable à 169 hectares pour 489 hectares de terres cultivables en
1892 (469 hectares en 1901) pour un rendement de 16 tonnes à l'hectare ( 19 tonnes en 1901) et une
production de 2704 tonnes (3211 tonnes en 1901) vendue au prix moyen de 4 francs le quintal ( 5,5
francs par quintal en 1901).
Félicien Pariset, en appendice de son ouvrage, traite des résultats d’une exploitation à moitié fruits
de la métairie de Ramondens. Cette métairie fait partie du domaine rural de Ramondens acheté en
1835 par Jean Jacques Ramondenc, qui deviendra par héritage la propriété de sa fille Elisabeth,
épouse Grimailh, puis de sa petite fille Thérèse Eléda Grimaih, épouse d'Armand de Barrau de
Muratel (29), avant d'être vendu par son petit fils Louis Armand Henri Alquier-Bouffard en juillet 1922
à la famille Arnal Puget de Carcassonne30 pour 250 000 francs (cf Annexe II).
Pariset nous indique la concernant: « Les produits des terres labourables sont les suivants :
- Le seigle : l’hectare en reçoit 3hl 25 de semence et rend les années moyennes de 4 fois et demi à 5
fois la semence soit une récolte par hectare de 14hl 62 l, il fournit un important volume de paille,
environ deux tonnes à l’hectare.
- Pour les pommes de terre, l’hectare non fumé reçoit pour semence 1750 kg, il donne sans fumure
7000 kg (31)
.
- Remarquons en passant le peu de profit de la culture du seigle, comparée à celle de la pomme de
terre : d’un côté 1355 frs pour douze hectares de seigle et de l’autre 1260 frs pour 4ha non fumés
de pommes de terre, ce qui justifie ce que nous avons souvent l’occasion de dire du peu d’avantage
de la culture des céréales en Montagne, imposée seulement par la nécessité de nourrir les
personnes et d’avoir de la paille pour faire du fumier.
Les colons ne vendent pas le seigle, ils consomment en nature la totalité de ce qu’ils reçoivent
pour leur moitié de récolte. Il en est de même pour leur part de pommes de terre. Ils n’en vendent
pas et leur moitié est directement consommée dans la métairie soit pour la nourriture des personnes
soit pour l’engraissement des porcs.
Sans faire un état comptable plus précis après partage avec le propriétaire et paiement des divers
gages, il ne reste en excédent pour les trois ménages que 300 frs à se partager. Ce faible excédent
ne permet pas aux métayers d’arriver au-delà des moyens indispensables de vivre ».
26 Environ 3,9 à 4,8 francs le quintal
27 Environ 5,7 à 8,8 francs le quintal
28 Archives municipales d'Arfons série 3F1
29 Petit fils de Cyr Pierre de Barrau de Muratel
30 Journal L'éclair du 14/10/1922
31 Ce rendement de 70 quintaux par hectare est à comparer au rendement moyen de 90 quintaux par hectare en France
pour 1892 avec de fortes disparités entre les Ardennes (163 quintaux par hectare) et l'Aude ( moins de 37 quintaux
par hectare) cf Roze, p. 124.
En résumé, si la situation précaire des métayers les conduit à consommer les produits de leurs
cultures, celle de la pomme de terre apparaît d'un meilleur rapport et le propriétaire qui bénéficie de
la moitié des produits va disposer de 50% de la récolte soit, pour les 4 hectares cultivés en pommes
de terre, environ 14 tonnes de pommes de terre qu'il va devoir ensuite écouler.
Dans la seconde moitié du XIXème siècle, on voit donc apparaître des marchands de pommes de terre
qui vont intervenir dans l'achat, la conservation, le transport et la commercialisation du produit.
Il est difficile de déterminer avec précision combien ont exercé cette activité à Arfons car les
recensements de population étaient assez imprécis en ce qui concerne les métiers exercés et, selon
les années, on peut les retrouver recensés en qualité de « roulier »
32. Le recensement de 1896 en identifie 3: André Cassan, Casimir Madaule et Bernard Albert aux Escudiés.
32 Roulier : « le roulier, le plus souvent propriétaire de son véhicule, faisait du transport de marchandises, de divers
produits ou de personnes avec un chariot, une charrette, une voiture, une carriole, une roulotte, un fourgon, voire une
diligence, tiré par un ou plusieurs chevaux. » (Wikipédia)
ANDRE CASSAN (1846-1907), UN MARCHAND DE POMMES DE TERRE À ARFONS
Issu d'une famille de charbonniers puis forgerons des Bastouls, André Cassan se tourne vers le
négoce de la pomme de terre après son mariage avec Alexandrine Couzinié en 1872, à son retour à
Arfons après 6 ans d'absence due au service militaire suivi de la guerre de 1870. En effet, son beau-père Pierre Couzinié, issu d'une famille de voituriers, était devenu marchand de pommes de terre (33).
33 Selon le contrat de mariage passé en avril 1872 devant Me Roumens Notaire à Saissac
André CASSAN, sa femme Alexandrine COUZINIE et leur fils Alcide
Agé de près de 70 ans lors du mariage de sa fille, il a pu vouloir laisser son gendre prendre sa suite.
Conservés dans la famille, différents documents et courriers nous fournissent un éclairage sur ses
activités de marchand de pommes de terre, notamment en ce qui concerne les achats, la
conservation, la commercialisation et le transport.
Parmi ces documents, deux lettres de change, l'une de 1883 de 2625 francs valeur reçue en pommes
de terre en faveur de Armand de Barrau (34), l'autre de 1894 de 3000 francs valeur reçue en pommes
de terre en faveur de Maurice de Barrau (35), ainsi qu'un courrier de Maurice de Barrau de 1884
témoignent qu'André Cassan était en relation avec avec la famille de Barrau pour son
approvisionnement (voir les documents figurants en Annexe III).
Nous reproduisons ci-après le courrier de Maurice de Barrau :
« Le Montagnet 14 novembre 1884
Vous me ferez plaisir de venir passer les lettres de change pour les pommes de terre après demain
dimanche, je compte descendre à la Sabartarié jeudi.
Le prix pour mes quatre métairies s'élève à peu près à 3740 francs, nous ferons le compte
exactement avec vous et nous le mettrons en un ou deux versements comme vous le vouliez.
Le prix de celles de Belmas s'élève à 767 francs seulement, vous me feriez plaisir si vous pouviez
les payer d'ici au 15 décembre.
Je vous salue
Maurice de Barrau de Muratel »
Nous ignorons sur quels prix étaient conclues ces transactions et donc quelles quantités André
Cassan avait achetées. Pour obtenir des ordres de grandeur, nous disposons de statistiques (36)
élaborées par Jean Fourastié et ses élèves, qui fournissent des estimations de prix de gros à partir de
1875 selon lesquelles le prix du quintal de pommes de terre de 7 francs en 1875 est monté jusqu'à
12 francs en 1879 avant de redescendre entre un maximum de 9 francs et un minimum de 4 francs
sur la période 1880-1900 en passant par 8 francs en 1884 et 6 francs en 1894.
De son coté, Gustave Bienaymé dans une étude de 1896 sur le coût de la vie à Paris (37) écrit :
« Les pommes de terre, ont, de 1833 à 1860, monté plus régulièrement de 0 fr. 03 c. à 0 fr. 10 c. le
kilogramme. Ensuite, jusqu'en 1882, elles ont oscillé pas mal quoique moins que les autres légumes
frais entre 0 fr. 06 c. et 0 fr. 13 c. ; mais dès lors une baisse peu interrompue les a ramenées
à 0 fr. 06 c. ou 0 fr. 07 c , c'est-à-dire comme aux environs de 1840 ».
Si l'on retient les prix de gros mentionnés par Jean Fourastié cela nous permet d'estimer à environ
56 tonnes en 1884 et 50 tonnes en 1894 les quantités fournies par Maurice de Barrau, soit, sur la
base d'un rendement moyen de 9 tonnes à l'hectare et d'un partage à mi fruit avec les métayers, une
superficie de l'ordre de 11 à 12 hectares plantée en pommes de terre sur les métairies concernées.
Par ailleurs, André Cassan avait acquis, vraisemblablement auprès de la famille Gorry Sompayrac
propriétaire de la métairie de Lespinas, un terrain d'environ un hectare qu'il cultivait en pommes de
terre et qui lui assurait un approvisionnement complémentaire de l'ordre de 10 tonnes.
Même s'il bénéficiait de délais de paiement de la part de ses fournisseurs, André Cassan avait donc
à engager des capitaux pour s'approvisionner qu'il ne récupérait que progressivement au fur et à
mesure des ventes réalisées. Il devait ainsi supporter les risques financiers liés à la conservation de
la récolte et aux fluctuations de prix entre les achats et la vente finale, qui s'étalait jusqu'à la fin du XIXème
34 Armand de Barrau, fils de Jean Pierre Armand de Barrau et petit fils de Cyr Pierre de Barrau. Il est propriétaire de
plusieurs métairies et des châteaux de Chantilly (à Sorèze) et de Grangevieille
35 Maurice de Barrau, fils de Cyr Jean Julien de Barrau et petit fils de Cyr Pierre de Barrau. Ancien diplomate,
conseiller général de Dourgne, il est également propriétaire de plusieurs métairies et réside au château du Montagnet
à Sorèze ou à son domaine de la Sabartarié à Viviers les Montagnes.
36 https://stats.fourastie-sauvy.org/
37 Journal de la société statistique de Paris, tome 37 (1896), p. 375-390.
printemps.
Pour le stockage, il disposait d'une grange dans le village entre la rue de l'Eglise et celle du Plô du
Barbier avec écurie pour les chevaux au rez de chaussée, ainsi que de caves voûtées propices à une
bonne conservation à l'arrière de sa maison située sur la Place du Poids Public.
Pour la commercialisation, nous savons d'après ses correspondances avec son fils qu'il se rendait
régulièrement au marché de Carcassonne le samedi matin (38), mais qu'il participait également aux
foires dans un large rayon autour d'Arfons, comme par exemple celle de Limoux à 60 kilomètres
d'Arfons.
Comme l'indique F Pariset, le marché de Carcassonne était une place d'échanges et de réexpédition
des pommes de terre de la Montagne Noire vers « le Bas-Languedoc, sur Perpignan et Marseille, et
aussi sur Toulouse, Bordeaux et Nantes ». Il s'agissait d'un marché de gros sans aucun rapport avec
l'image que nous avons de nos jours du marché du samedi matin de la Place Carnot.
La consultation de la presse régionale (39) atteste de l'apparition dans la seconde moitié du 19ème
siècle de cours de la pomme de terre aux cotés de ceux des céréales dans les « mercuriales (40) » de
plusieurs marchés de la région, ce qui témoigne du développement de la place prise par celle-ci
dans l'alimentation des Français :
Pour Albi, Le Journal du Tarn du 20 octobre 1849 fait état de « 89 charretées de Pommes de Terre
formant 750 hectolitres environ, rapidement et facilement écoulées » à un prix moyen de 2 francs
l'hectolitre lors de la Foire du 11 octobre 1949. Notons que ces quantités restent bien inférieures
aux 146 charretées et 1200 hectolitres de châtaignes également écoulés le même jour pour un prix
de 4 francs l'hectolitre.
Pour Carcassonne, nous avons retrouvé pour le marché du 18 novembre 185441 une mercuriale de
11 francs les 100 kilos pour les pommes de terre (et 14,5 francs pour la même quantité de
châtaignes). Ceci donne un aperçu de l'ampleur des fluctuations de prix pouvant intervenir en
quelques années.
Nous avons également retrouvé des indications de cours pratiqués à Mazamet en 1874 (42) et à Revel à
partir de 1882 (43)
,
Selon les places considérées les cotations sont faites sous forme de prix à l'hectolitre ( Albi, Revel),
prix aux 50 kilos (Mazamet), prix au quintal de 100 kilos (Carcassonne, sauf 2 cotations données au
quintal et à l'hectolitre en novembre 1893 qui font apparaître une équivalence de prix entre un
hectolitre et 70 kilos)
En 1867, les mercuriales données par le Messager du Midi pour le marché au grains de Carcassonne
apportent la précision suivante : « Ces prix, pommes de terre exceptées, sont pour marchandises
prises en propriété ; la moyenne des frais de transport à notre gare est de 0,40 c par hectolitre. ».
Ceci laisse penser que le développement du transport de marchandises par la gare de Carcassonne a
été assez rapide, la ligne Toulouse Sète n'ayant été inaugurée qu'en 1852 soit 15 ans plus tôt.
André Cassan devait donc apporter ses sacs de pomme de terre à vendre au marché de Carcassonne.
Nous avons d'ailleurs évoqué plus haut les vœux du Conseil d'arrondissement de Carcassonne dès
1864 pour que soit rendu praticable le chemin reliant Arfons à Saissac.
38 Ce qui lui permettait accessoirement de voir son fils pensionnaire au lycée de Carcassonne.
39 On trouve sur le site Gallica de la BNF un certain nombre de titres numérisés.
40 Les mercuriales sont des relevés des prix des produits agricoles et marchandises vendues sur un marché. Établies par
des services municipaux, elles étaient destinées à assurer la transparence des prix pratiqués et lutter contre les
spéculations.
41 Messager du Midi du 21/11/1854
42 Journal du Tarn du 17/01/1874
43 Journal du Tarn du 29/11/1882
A cet égard, le journal La Fraternité du 31 juillet 1886 reproduit la
profession de foi de Lades Gout, candidat à sa réélection aux élections cantonales à Saissac,
indiquant : « On me doit le prompt achèvement du chemin de Saissac à Arfons avec son beau tracé
que j'ai fait adopter, malgré de sérieuses oppositions » ! Ainsi donc le trajet Arfons Carcassonne
venait d'être facilité. Il n'en demeurait pas moins délicat pour le transport des pommes de terre en
raison des poids charriés, des pentes et de conditions climatiques pas toujours favorables. La
Dépêche de Toulouse du 2 mars 1891 nous en fournit une triste illustration : « -Accident mortel.-
Un marchand de pommes de terre d'Arfons, nommé Auguste Albert , dit Flaquet, âgé de 53 ans,
originaire des Escudiès, allait vendredi soir porter des pommes de terre au marché de Carcassonne,
lorsqu'il a été écrasé par sa charrette, au Travet, près de Montolieu. »
Cet entrefilet nous confirme ce qui apparaît dans les correspondances d'André Cassan : pour
participer au marché de Carcassonne du samedi matin, il était nécessaire de partir d'Arfons le
vendredi après midi compte tenu de la distance de 35 kilomètres, du chargement à tirer, des pentes
et de l'état des chemins, ainsi que du temps consacré au repos et à la nourriture des chevaux
L'arrivée à Arfons au retour ne pouvait se faire que le samedi en fin d'après midi.
De même, la participation à la foire de Limoux (à 60 km d'Arfons) nécessitait deux jours de trajet d'
aller-retour pour une journée de foire.
Il faut savoir que l'activité de roulage était réglementée depuis une loi de 1851 complétée par un
décret de 1852 « portant règlement sur la police du roulage et des messageries publiques »
(44). Y étaient définis des dimensions maximales pour les essieux, la largeur du chargement, les colliers des
chevaux, l'obligation de rouler à droite, d'apposer une plaque d'identification sur le coté gauche de
la voiture, etc.
Ces déplacements par tous temps effectués par André Cassan en compagnie de sa femme, ainsi que
la manutention des sacs de pomme de terre devaient être assez éprouvants. Leur fils Alcide, qui
finissait ses études à l'Ecole de Santé militaire de Lyon, écrit d'ailleurs le 6 juin 1896 à ses parents
qui ont été malades pour leur rappeler que cela fait deux ans qu'il leur reproche de « prendre trop
d'affaires.....Vous n'êtes plus tout à fait jeunes et vos occupations deviennent de jour en jour plus
pénibles......Est ce quelques centaines de francs de plus qui vous rendraient plus heureux ? ».
De fait, ces activités de marchand de pommes de terre avaient procuré aux époux Cassan une
certaine aisance et leur avaient permis, à défaut de devenir véritablement « riches », de financer les
longues études de leur fils pour devenir médecin militaire.
Parmi les documents retrouvés, certains laissent penser à une évolution de la nature des activité,
avec des relations directes avec les acheteurs sans passer par le marché de Carcassonne et le recours
accru à des expéditions par train des pommes de terre vendues « rendues en gare de Pezens ».
Deux courriers adressés à André Cassan (45) par des
commissionnaires fournisseurs de la Marine de Rochefort et de Saint Malo pour des quantités
importantes livrables par wagons de 5 tonnes en attestent. Nous n'avons pas d 'éléments permettant de savoir
quelles en avait été les suites, mais cela indique sans aucun doute que la production de pommes de
terre d'Arfons avait acquis en ce début du vingtième siècle une certaine notoriété, dépassant le cadre
départemental ou régional.
Le décès d'André Cassan en mars 1907 marque la fin de l'activité de négoce de pomme de terre par
la famille Cassan. Après le décès de sa veuve en 1910 ce fut également la fin d'une résidence à
l'année de la famille à Arfons, leur fils Alcide, se fixant à Carcassonne lorsqu'il devient Inspecteur
départemental d'Hygiène de l'Aude après une carrière de médecin militaire.
44 C'est l'ancêtre de notre Code de la Route !
45 L'un de ces courriers est curieusement adressé à « A CASSAN Pommes de Terre ARFONS Tarn »
En ce qui concerne la culture de la pomme de terre, au plan national le vingtième siècle connut une
diminution de la consommation individuelle ainsi qu'une augmentation des rendements.
Il en résulta une diminution des surfaces plantées et une concentration de la production sur des
régions du Nord de la France bénéficiant de meilleures conditions de rendement et de coûts de
production plus favorables.
Arfons, comme le reste de la Montagne-Noire fut confronté à l'arrêt progressif d'exploitation des
métairies devenues de moins en moins rentables et donc à la diminution correspondante de la
production de pommes de terre.
Selon les statistiques agricoles réalisées sur la commune (46), les surfaces cultivées en pommes de terre
qui étaient encore de 169 hectares en 1901, chutent à 80 hectares en 1936, 22 hectares en 1950 et 13
hectares en 1954.
Gilles Rouanet (47), dernier exploitant agricole à poursuivre cette production pour la vente sur Arfons,
vient de prendre sa retraite, marquant ainsi la fin de cette activité. Selon son témoignage, il
produisait jusqu'à 56 tonnes sur 2 hectares (48), qu'il allait écouler le samedi matin au marché de Revel
où il parvenait à vendre jusqu'à une tonne dans la matinée dans les années 2000.
Pour terminer par une note d'humour, signalons que certains habitants d'Arfons vivant à l'année au
village avaient pour habitude de qualifier les estivants de « doryphores », qualificatif peu flatteur,
dont je ne sais s'il se référait à une coïncidence de dates avec leur arrivée en fin de printemps ou à
une crainte de les voir s'emparer de leurs précieuses récoltes.
Les pommes de terre ont quitté Arfons, les « doryphores » reviennent toujours !
46 Archives municipales d'Arfons série 3F1
47 Son père et son grand père avaient eux même exercé une activité de négoce de la pomme de terre d'Arfons dans les
années 1930-1960
48 Soit un rendement de 28 tonnes à l'hectare restant bien inférieur à ceux actuellement obtenus dans les meilleures
régions productrices, avec les conséquences que l'on imagine sur la compétitivité et la rentabilité.
Annexe 1
Annexe 2
Famille Ramondenc et descendants, propriétaires du domaine rural de Ramondens de 1835 à 1922.